Exposition de photographies – Rencontre avec Nicole Delhalle
Nicole Delhalle, artiste photographe, exposera son travail du 6 au 28 avril 2024 au Centre culturel de Soumagne. Elle y présentera deux expositions qui abordent des thèmes très différents. Celles-ci s’équilibrent et ont comme point commun d’éveiller des questionnements en chacun de nous.
La Trace est un témoignage photographique du massacre de la population d’un village, commis à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. Les prises de vue frontales des ruines de ce village martyr interpellent le visiteur, le poussent à se poser des questions sur le drame qui s’y est joué.
Dans les nuages est une série de photographies oniriques qui ont été prises dans différentes régions montagneuses de France.
Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Nicole Delhalle, je suis psychologue et thérapeute, j’ai 68 ans. Passionnée par la photographie depuis très longtemps, j’ai suivi un cursus en photographie à Saint-Luc Liège en promotion sociale. J’ai eu la chance d’avoir d’excellents professeurs qui m’ont aidée à évoluer. L’exposition principale La Trace a été mon travail de fin d’étude. C’est un travail qui correspond aussi bien à qui je suis qu’à mon métier de psychologue. Spécialisée dans l’apaisement des deuils et des traumatismes, je ne peux rester insensible aux souffrances, violences, sidération, terreurs, incompréhensions et colères.
Pourquoi est-ce que tu as photographié ce lieu de « mémoire » ?
Le processus qui a amené́ à ce travail a sans doute débuté́ de manière insidieuse, il y a plus de dix ans, en visitant un lieu de mémoire, un hameau martyr français de la guerre en 1944 : un lieu où j’ai eu l’impression de ressentir un écho empathique de souffrances et de révoltes. Je ne donne pas le nom de cet endroit, car mon but est de susciter des questionnements.
Pourquoi le titre La Trace ?
Il est des lieux qui transpirent l’absence, la présence, la violence, la révolte, la paix, la sérénité, le besoin de justice, le devoir de mémoire et l’envie de l’oubli. Tel est le village où j’ai fait les prises de vue de ce travail photographique et où je veux mettre en évidence la trace de ce qui n’y est plus, mais y fut, des habitants massacrés sans autre justification que de semer la terreur. Oradour-Sur-Glane, c’est maintenant un décor vide où manque la présence humaine : rien que la pierre, la rouille et l’herbe qui envahit tout.
Dans quel état est le lieu aujourd’hui ?
C’est un lieu qui est visité et l’ambiance y est spéciale. On y voit des gens qui se promènent et des enfants qui courent, mais c’est très silencieux et respectueux. Lorsque vous arrivez au pied du village, vous montez les escaliers et vous entrez dans les ruines, qui se dégradent malgré tout. A l’origine, juste après le massacre, le président de Gaulle s’est engagé à maintenir ce lieu de mémoire. Les ruines ont été « gardées en l’état » pour servir de témoignage. Un nouvel Oradour a été construit juste à côté, d’où tous les habitants peuvent voir les restes de l’ancien. Pendant tout un temps, ce nouvel Oradour s’est empêché de vivre : pas de fêtes, pas de célébrations, parce qu’il y a ce deuil qui restait très présent, ainsi qu’une attente de justice. Le dernier survivant du massacre est décédé il n’y a pas très longtemps.
Quand tu dis que cela va au-delà du reportage, tu veux dire que cela a une dimension artistique ?
Oui, il y a une dimension artistique dans la volonté de transcender ce que cela représente pour exprimer plus. J’ai mis le traitement photographique au service de cette intention. Mon envie est, au travers de ce traitement et de mes approches personnelles, de susciter une émotion qui interpellera le spectateur. Que s’est-il passé ? Pourquoi ? Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment des hommes ont-ils pu faire cela et comment éviter que cela ne recommence ? Qu’est-ce qui fait que l’on devient bourreau ? Mon propos se veut plus universel que la stigmatisation de la sauvagerie nazie, et veut susciter des réactions bien plus larges sur la terreur, le terrorisme, les guerres, le fanatisme, le populisme, la manipulation des foules …
Tu as fait aussi une autre œuvre photographique à présenter lors de ton expo au Centre culturel : Dans les nuages ?
Oui, à la demande du Centre culturel, je vais présenter un autre travail, celui-ci sur les nuages. Ce sont deux expos qui vont se côtoyer. Dans cette série ce sont des photos que j’ai prises dans le Verdon et dans le Tarn. Je me suis laissée guider par ce que je voyais et par des scènes qui en ressortaient. C’est un peu par hasard que j’ai réalisé ces photos. J’étais au bord d’un lac, un orage allait arriver, j’ai levé les yeux et j’ai commencé à prendre des photos. Dans ce genre de moment, tout ce qui attire mon regard, je le photographie. Très souvent ce sont mes premières prises de vue qui sont les meilleures. Ici aussi, je transcende la simple prise de vue au service de ce que je veux montrer.
As-tu déjà exposé ces photos ?
L’exposition complète de « La Trace », qui sera présentée au Centre culturel de Soumagne, a été installée lors de l’exposition Louvrexpo en juin 2018. J’ai aussi exposé à Waremme dans Les rencontres photographiques de février 2019, au Hangar en mai 2019 à Liège dans une exposition collective d’artistes photographes, et dans le cadre du parcours d’artistes Bronckart-Botanique à Liège en avril 2023. Au Centre culturel de Soumagne, ce sera ma première expo personnelle, et « Dans les nuages » y sera présentée pour la première fois.
L’exposition est visible du 6 au 28 avril 2024 au Centre culturel de Soumagne.
Vernissage le samedi 6 avril 2024 à 19h.
Site internet de Nicole Delhalle : Photographie – by Nicole Delhalle
Pour continuer la réflexion autour de cette thématique :
- Témoignage du dernier survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane : Robert Hébras, Avant que ma voix ne s’éteigne, édition Elytel, 2014
- Livre de Mélissa Boufigi, Robert Hébras, Agathe Hébras: Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane, édition HarperCollins France, 2022