Il y a des personnages que l’on croise, que l’on frôle parfois, des rouages de la grande mécanique affamée qui fait fonctionner nos sociétés, mais que nous ne voyons pas vraiment.
Comme les lumières des appartements le soir, il arrive aux plus curieux, aux plus rêveurs d’entre nous de s’interroger sur ces gens. Qui sont-ils ? Que font-ils derrières leurs fenêtres éclairées ? Peut-être regardent-ils dehors au moment où nous regardons dedans ? Peut-être y a-t-il du bonheur là-bas, dans cette lumière dorée qui éclaire une silhouette en contre-jour ? Mais peut-être est-ce un drame qui vient de se jouer dans cet intérieur ? Peut-être la vie n’y sera-t-elle plus jamais la même ?
Anne-Sofie Corman est l’une de ces silhouette.
Anne-Sofie fait partie de nos collaborateurs externes depuis plus de dix ans maintenant. Dix ans ! Et, pour vous dire la vérité, je ne la connaissais pas. Pas vraiment. Je ne la rencontrais qu’au détour d’un couloir, souvent chargée de quelques dizaines d’exemplaires de ce magazine que vous tenez entre vos mains. Anne-Sofie est une dame, d’un certain âge, solide sur ses jambes, la voix forte et basse, une fameuse énergie. Anne-Sofie est toujours maquillée, toujours parfumée d’un parfum un peu entêtant, en la voyant du coin de l’œil, elle pourrait faire penser à ces camelots sur les marchés qui harponne le chaland.
Cette dame-là distribue nos publications, ainsi que celles de Olne, du festival Paroles d’Humains et de bien d’autres encore dans vos boîtes aux lettres.
Un labeur physique, dur, et qui l’amène bien souvent à se faire « engueuler ». « Ben, oui, pour m’éviter de trop descendre et monter en voiture, je me gare parfois au plus près et il y a des gens qui ne supportent pas… Heureusement, maintenant le plus souvent les boîtes sont à rues, sauf dans les campagnes… »
Des dizaines de milliers de documents sont passés entre ses mains pour se retrouver dans nos boîtes. Bien entendu, elle n’a pas toujours été dans la distribution.
« Avant, je travaillais dans les cosmétiques. J’ai même eu ma propre marque, BIOFIL. Je faisais de la cosmétique bio avant la lettre… mais après les problèmes de la vache folle, les gens ne voulaient plus de produits d’origine animale. Il aurait fallu tout changer, je n’avais pas les moyens, alors j’ai arrêté »
Anne-Sophie avait envie de bouger, besoin de faire de l’exercice, il lui est apparût que la distribution pouvait remplir cet office tout en lui permettant de mettre un peu de beurre dans les épinards.
Mais il y a aussi une part plus secrète, chez cette dame-là. Son amour pour le théâtre, d’abord. Elle fréquente régulièrement les salles de la région. Son amour de l’Histoire aussi, son intérêt pour la Renaissance, pour les archives familiales également. « je possède toute la correspondance de mes parents quand ils sont partis s’établir à Montréal dans les années 50. Ils ont écrit à leurs amis, à leur famille ici, j’ai gardé tout ça, j’aimerai en faire quelque chose à l’occasion ».
Son amour pour le cinéma aussi. Celui qu’on regarde, bien sûr, mais aussi celui qu’on fait. « j’aurais bien voulu faire une école de cinéma, je voulais m’inscrire à l’IAD, mais à l’époque ma maman n’a pas voulu et elle était sévère, ça… ». L’envie est restée pourtant et Anne-Sophie a continué à faire des films, pour elle, en amatrice. « Mais pas des petits films de vacances, hein ! J’ai réalisé un reportage sur les châteaux de la Loire une fois, un film de 52 minutes avec le montage et tout ! J’ai fait un film aussi du point du vue de mon petit chien, comme si on voyait par ses yeux… »
Je vous le disais, un être humain c’est toujours plus profond qu’on ne l’imagine. Toujours moins lisse. C’est une somme d’histoire, une bibliothèque de vécu, de sensations, de talents qu’il est utile et nécessaire d’aller observer.